Nous disons Parti en pensant à Lénine, nous disons Lénine en pensant au Parti ». Un petit exemple. Lorsque la veille des élections, alors que la campagne est officiellement close, on montre au journal télévisé du soir le président Poutine en train de promettre aux scientifiques d’augmenter considérablement leurs salaires, c’est certainement de la publicité pour Russie Unie. Fort de l’appui présidentiel, ce parti n’a même pas daigné participer aux débats télévisés où les autres partis disposaient à chaque fois seulement de 6 minutes pour un débat à trois, organisé comme un match avec des sets de 30 secondes. De même que les clips publicitaires de ces partis, ces débats étaient diffusés très tôt le matin, au milieu de la journée ou très tard le soir, jamais en prime time. Malgré un forcing tout à fait incroyable (car les gouverneurs de province étaient censés assurer une participation massive et un vote massif en faveur de Russie Unie), les chiffres réels du vote sont probablement bien plus bas que les chiffres annoncés. On va en savoir plus le 11 décembre, lorsque l’Association Golos (La Voix) qui s’occupe depuis plusieurs années du monitoring des élections et dispose de milliers d’observateurs rendra son verdict, mais de façon informelle, j’ai appris que le vote pour la Russie Unie se chiffrait de l’ordre de 40 à 45%. Très loin du chiffre annoncé : 64%, et encore plus loin du chiffre espéré par le régime : 70%. Nonobstant, Russie Unie dispose désormais d’une majorité constitutionnelle à la Douma en reléguant, de facto, les trois autres partis au rôle de clowns qui n’auront aucune incidence sur les affaires de l’Etat. Le rôle de ces trois autres partis, c’est juste de permettre à des tranches spécifiques de l’électorat de se sentir représentés (des retraités, des working poor, des éléments déclassés et marginaux), ce qui calmera les velléités éventuelles d’une protestation. Aucun des quatre partis présents à la nouvelle Douma n’exprime des revendications démocratiques. Le consensus des élites gouvernantes est très simple : elles veulent une Russie forte, unie et riche, qui affiche une puissance de nuisance sur la scène internationale et mène une politique active à l’intérieur du pays en encourageant le patriotisme basé sur l’idée de la spécificité (et de la supériorité) russe ainsi que sur la haine de l’Occident et de ses valeurs. Mais l’Occident n’est pas le seul à être visé. Depuis quelques mois, on assiste à un véritable lynchage médiatique (initié par le président Poutine lui-même) des personnalités de l’opposition. Je ne citerai que le livre « Ennemis de Poutine », un collectif sous la direction de l’image-maker principal du Kremlin, Gleb Pavlovski. Qui sont ces ennemis ? L’oligarque exilé Boris Berezovski ; l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov ; l’écrivain et activiste politique Edouard Limonov ; l’ancien premier ministre Mikhaïl Kassianov ; l’ex-patron de Youkos, le prisonnier Mikhaïl Khodorkovski ; l’ancien conseiller économique de Poutine Andreï Illarionov ; l’oligarque exilé Vladimir Goussinski. Mais aussi des « diablotins » comme la journaliste libérale Evguenia Albatz ou l’ancien dissident Vladimir Boukovsky. La préface dit : « Il n’est pas important de savoir pourquoi telle ou telle personne réfute le régime de Poutine et devient son ennemi. Ce qui compte, c’est que dans la situation actuelle, cette personne devient automatiquement un ennemi de l’Etat et de la nation, un ennemi de notre Patrie… Et il faut réserver à ces personnes le sort des ennemis ». Pendant les trois jours qui ont suivi les élections à la Douma, j’ai assisté à Moscou à une mobilisation sans précédent des jeunesses poutiniennes (le mouvement Nachi), mais aussi de la milice, des OMON (équivalent des CRS), des troupes du ministère de l’Intérieur massés au centre-ville pour empêcher le moindre rassemblement de l’opposition. Le lendemain des élections, le mouvement non-officiel Autre Russie a lancé sur son site un appel à déposer, entre 18 et 21 heures, un œillet sur les marches de la Commission Electorale Centrale, en signe de deuil pour la démocratie. A 17.30, je suis sortie du métro Loubianka pour aller à l’adresse indiquée. Mais tout le quartier était déjà barré par des détachements de militaires. Une pancarte ornait les barrières : « Zone dangereuse ». Plusieurs centaines de miliciens et soldats munis de gourdins en caoutchouc veillaient à ce que personne ne puisse s’engouffrer dans les petites ruelles. Certaines voies ont été barrées par d’énormes camions chasse-neige. Aucun sympathisant d’Autre Russie n’a pu franchir ces barrages. Quant à Garry Kasparov, il a simplement été bloqué chez lui. Comme il venait de passer cinq jours en prison après la Marche des opposants du 24 novembre, il n’a pas essayé de se frayer un passage en bas de son immeuble… J’ai été estomaquée d’apprendre que notre président, Nicolas Sarkozy, s’est empressé de féliciter Vladimir Poutine avec la victoire de la Russie Unie aux élections. Aucun protocole n’exigeait ce geste, tout comme rien n’obligeait Jacques Chirac à décorer Vladimir Poutine de la plus grande distinction française. Le candidat Sarkozy nous avait promis la rupture. En ce qui concerne sa politique en matière des droits de l’Homme, et notamment vis-à-vis de la Russie ou de la Chine, je ne vois que continuation. Quel dommage ! |
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